Questions aux experts
Matière et matériaux
Du jus de raisin au vinaigre
Comment expliquer à mes élèves la transformation de leur jus de raisin en vinaigre ?
Le jus de raisin a été fabriqué vendredi dernier et ce matin, mes élèves ont constaté qu'il sentait le vinaigre.
La fabrication directe du vinaigre à partir du jus de raisin est un phénomène un peu inhabituel, mais il faudrait être sûr qu'il s'agit bien de vinaigre. En effet, la fermentation "spontanée" du jus de raisin se fait grâce à une levure, pratiquement toujours présente à la surface des grains, qui produit la "fermentation alcoolique", c'est-à-dire la transformation en absence d'oxygène du sucre (essentiellement le glucose) en éthanol, c'est-à-dire en alcool.C'est ce qui se passe dans les cuves des viticulteurs quand ils préparent leur vin.
La formation du vinaigre à partir de l'alcool est un second processus complètement différent, qui demande la présence d'une bactérie spécialisée dans la transformation, en présence d'oxygène, de l'alcool du vin en acide acétique, constituant de base du vinaigre. C'est ce dernier produit qui "sent" le vinaigre. Cependant, la fermentation alcoolique s'accompagne de dégagements en faible quantité de produits acides dont l'odeur rappelle celle du vinaigre. Ne seraient-ce pas eux qui ont fait croire qu'il y avait du vinaigre ?
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Le jus de raisin contient du sucre qui constitue une excellente source d'énergie pour les êtres vivants. Les enseignants d'EPS, les médecins scolaires préoccupés par le creux de 11 heures et les parents gavés de pub pour les goûters XXX "le plein d'énergie pour la soirée" savent ça.
Parmi les êtres vivants se trouvent les levures (des champignons microscopiques) et les bactéries qui peuvent aussi se nourrir de sucre. Cependant, ces organismes microscopiques ne l'utilisent pas toujours de la même manière que nous. Le bilan de notre utilisation du sucre est :
1 molécule de sucre à six atomes de carbones + oxygène ==> 6 CO2 +
énergie
(sans entrer dans la biochimie : C6H12O6 + 6 O2 ==> 6 CO2 + 6 H2O + énergie)
c'est la respiration.
Le bilan de l'utilisation par certaines levures peut être (en l'absence d'air) :
1 molécule de sucre à six atomes de carbones ==> 2 molécules d'alcool (2 atomes de C chacune) + 2 CO2 + un peu d'énergie (C6H12O6 ==> 2 CH3CH2OH + 2 CO2 + énergie)
il s'agit là d'une forme de fermentation.
Ce métabolisme est à la base de la production des boissons alcoolisées, ou de la formation des bulles dans le pain. La levure la plus connue et la plus courante est Saccharomyces cerevisae, la levure de bière, dont on trouve des souches un peu partout, notamment sur la peau du raisin : on n'a pas toujours besoin d'en rajouter pour fabriquer du vin. Une partie du sucre de votre jus de raisin a sûrement été fermenté en alcool par cette voie.
Cependant, comme votre expérience n'était pas à l'abri de l'air, des bactéries ont pu s'attaquer à l'alcool formé pour donner de l'acide acétique, l'acide du vinaigre :
1 molécule d'alcool + oxygène ==> 1 molécule d'acide acétique
(CH3CH2OH + O2 ==> CH3COOH + H2O)
on parle souvent de "fermentation acétique", mais les biochimistes peuvent contester cette appellation puisqu'il s'agit d'un métabolisme qui utilise l'oxygène (type "respiration").
Les bactéries responsables de cette transformation appartiennent pour un certain nombre d'entre elles au genre Acetobacter ; il y en a une grande variété.
Certaines constituent la mère du vinaigre.
Il y a de fortes chances pour que les transformations que vous avez observées aient été incomplètes, surtout dans un délai aussi court. Je pense donc que votre produit final contient encore un peu de sucre, de l'alcool (éthanol) et de l'acide acétique. Dans ce cas, il est vraisemblable que l'odeur "de vinaigre" que vous avez perçue n'est pas celle de l'acide acétique, mais celle de l'acétate d'éthyle, produit de combinaison (estérification) de l'acide acétique
et de l'éthanol.
En effet, l'acétate d'éthyle a un seuil de perception relativement faible : on le sent à partir de 150 mg/L, alors que l'acide acétique ne se perçoit qu'à des concentrations supérieures d'un ordre de grandeur.