Comment les savants font-ils pour être sûrs de leurs affirmations ?

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Comment les savants font-ils pour être sûrs de leurs affirmations ?

En lisant les réponses des consultants aux questions posées par les enseignants, je me suis posé la question suivante : comment les savants font-ils pour être sûrs de leurs affirmations ?

Tue 09/04/02 - 14:00
laurent.pagani@obspm.fr

Cela demanderait un long développement sur ce que sont la science, la méthodologie scientifique, etc. On peut dire rapidement que les savants n'affirment pas leur savoir. Ils le construisent par des théories qu'ils confrontent aux expériences et qu'ils améliorent, modifient ou abandonnent complètement au fur et à mesure des découvertes.
Un savant qui veut être rigoureux ne donnera que des théories qui expliquent le mieux possible un phénomène donné et sera prêt à les abandonner si on lui fait la démonstration rigoureuse que ses théories sont fausses. Il est fondamentalement sceptique. C'est toute la différence avec des pratiques qui se parent du label de science mais n'en respectent absolument pas le protocole (échafaudage de théorie -> test de la théorie par une expérience -> amélioration de la théorie puis on recommence indéfiniment), comme, au hasard, l'astrologie.
Par exemple, la théorie de la gravitation universelle de Newton ne peut pas expliquer certains phénomènes liés au mouvement de Mercure, à la déviation de la lumière au passage d'un corps massif, etc. Einstein a alors proposé une extension de cette théorie (la relativité) qui explique ce que la théorie de Newton ne peut pas expliquer. Tous les savants ont alors adopté cette nouvelle théorie (avec un certain retard lié à leur scepticisme toujours, parfois à leur mauvaise foi, ils sont humains !).
Mais on ne s'arrête pas là. On continue à construire de nouvelles expériences pour tester les prédictions de la relativité. Peut-être un jour trouvera-t-on une exception que la relativité ne peut pas expliquer : on essaiera alors tout d'abord d'adapter la théorie au phénomène et si on n'y arrive pas, on en changera à nouveau !
Certains faits simples sont par contre admis par tous et ne sont plus remis en cause comme la rotation de la Terre sur elle-même ou autour du Soleil, même si nous ne disposons pas encore de théorie complètement adéquate pour expliquer leur rotation.

mar 09/04/2002 - 03:01
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Je suis bien d'accord avec Laurent Pagani ! Je ne connais aucun scientifique capable d'être "sûr" de ses affirmations. Les scientifiques essaient de comprendre et de pouvoir "écrire" la réalité. Par "écrire", j'entends le formalisme utilisé par les scientifiques : ce peut être l'écriture mathématique, l'écriture d'une réaction chimique ou nucléaire ou un simple schéma d'anatomie humaine. Mais tout cela ne restera jamais qu'une description partielle d'une réalité très complexe. Tout le travail du scientifique est de se faire une idée des phénomènes, des mécanismes. On dit aussi qu'il établit un modèle, ou une théorie, qu'il doit vérifier par l'expérience. Mais le scientifique n'est pas capable d'avoir conscience de la réalité dans toute sa complexité et ne peut donc affirmer quoi que ce soit avec "certitude".

mer 10/04/2002 - 03:01
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edith.saltiel@fondation-lamap.org

Une petite anecdote pour illustrer l'importance de l'observation. Avant les années 1960, on supputait (avec de bonnes raisons) que la Lune avait une face cachée. Mais cela aurait pu être un trou, une pièce montée ou du carton pâte, ou... rien, après tout. C'est l'expérience qui nous forcés à avoir de l'imagination. Après l'expérience russe, consistant à envoyer une sonde photographier l'autre côté de la Lune, on a été certains que tout était comme on l'avait supposé.

mer 10/04/2002 - 03:01
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Je ne peux pas expliquer comment on construit une connaissance sûre, mais comme ingénieur, je peux vous dire comment mes collègues et moi utilisons les sciences tous les jours (ou les nuits !).
Car pour obtenir de l'essence aux normes à partir du pétrole brut ou fabriquer de l'éthylène, nos décisions quotidiennes face aux questions, aux incidents, aux imprévus fréquents font largement appel à la physique et à la chimie que nous avons apprises en classe ; de même quand j'ai travaillé au projet de construction d'une raffinerie. Je peux vous garantir que ça marche !
Ces incidents, ces imprévus sont le lot quotidien des ingénieurs de fabrication. Nous utilisons toujours les mêmes modes de raisonnement pour trouver le moyen de rétablir la situation : c'est la démarche scientifique.
Et comme il s'agit souvent de discussions à plusieurs, nous sommes très entraînés à détecter une faute de raisonnement ou une lacune dans les preuves quand nous discutons ; car une erreur, ce sont les ennuis qui continuent. Cet entraînement, nous le gardons quand nous lisons un article de presse, quand nous écoutons une polémique, au café du commerce ou ailleurs.
En résumé, ma confiance dans les sciences vient du grand nombre d'erreurs que mes collègues et moi avons commises et corrigées avec succès (sans parler des accidents !) et de la faculté à les détecter que nous avons ainsi développée. Les sciences, "ça marche", et pour me tromper, il faut se lever de bonne heure !

mer 10/04/2002 - 03:01
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alain.chomat@fondation-lamap.org

Les savants sont comme tout le monde, ils ont besoin de certitudes, de points d'appui pour avancer ! Mais si ce sont des scientifiques pratiquants, ils sont aussi "sûrs" que chacune de leur affirmation est vraie parce que reconnue comme telle par la communauté des savants, et ce jusqu'à preuve du contraire. Et c'est là que réside la beauté de la chose et la différence fondamentale avec n'importe quelles "saintes écritures".
La falsifiabilité des connaissances scientifiques est implicite mais, hélas, totalement ignorée du public (qui lui aussi, et sans réserves, exige des certitudes). Donc, je conteste le fait que les savants soient sûrs de leurs affirmations, mais je reconnais que, souvent, on pourrait s'y tromper !
Remarque : Peut-on être certain, comme Jean Louis Basdevant, que la photo dite de "l'autre côté de la Lune" soit bien le "vrai " autre côté. Les raisons de douter sont multiples et classiques !

ven 12/04/2002 - 03:01
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patrick.bouchareine@normalesup.org

Comment êtes-vous si sure que les savants sont si sûrs de leurs affirmations ? La question devrait être posée à un philosophe plutôt qu'à un scientifique, mais voici la réponse d'un métrologue, complétée par celle d'un physicien.

Réponse du métrologue :
Les théories scientifiques sont initiées et vérifiées par l'observation et la mesure. Toute mesure est entachée d'incertitudes et rien n'est plus difficile que d'évaluer ces incertitudes (je ne parle pas des erreurs qui peuvent et doivent être corrigées). Tout résultat est donc donné avec une probabilité de rentrer dans une fourchette. Tant que l'expérience ne peut pas la mettre en défaut, toute théorie est valide, ce qui ne veut pas dire qu'elle est exacte.

Réponse du physicien :
Même Descartes, qui a cru que la logique était infaillible, s'était aventuré à dire qu'un corps en mouvement était plus lourd qu'un corps immobile, grossière confusion entre masse et force vive qui ne serait pas pardonnée de nos jours à un étudiant. Cela n'a pas empêché notre philosophe scientifique d'apporter plusieurs contributions majeures à la science.
A la suite des succès de très belles théories, les scientifiques de la fin du XIXe siècle ont rêvé de numériser l'Univers pour décrire son présent, son passé et son avenir. Tout cela est bien oublié. Les plus beaux succès de la physique en ce vingtième siècle sont venus de la théorie quantique, probabiliste au niveau de chaque phénomène élémentaire, et dont l'un des inventeurs, Louis de Broglie, a passé sa vie à essayer de démontrer qu'elle était incomplète. En écoutant le pathétique discours prononcé par le grand-père de la mécanique quantique, qui espérait que d'autres plus jeunes réussiraient là où il croyait avoir échoué, on ne se dit pas que le savant est si sûr de ses affirmations.

lun 15/04/2002 - 03:01
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guy.manneux@free.fr

Lisez donc de Jean-Pierre Lentin : Je pense donc je me trompe, aux éditions Albin Michel (1994) et vous verrez que vous serez peut-être moins sûre, vous aussi, de ce que vous affirmez !

Mais excusez si je fais tache dans ces réponses de scientifiques ; je suis moi-même technicien, enseignant de l'enseignement technique et didacticien de ces enseignements.

Chez les ingénieurs, les techniciens, leurs "affirmations" sont des objets, des produits ou des services plutôt que des mots, des maximes, des théorèmes... Ils sont toujours le résultat de compromis dans un champ de contraintes qui est conditionné et qui conditionne l'usage qui sera fait du "produit" par l'Homme. Mais j'en entends déjà qui se demandent si les techniciens et ingénieurs sont bien des savants. Pourtant, quand ces ingénieurs et techniciens ont réussi à faire un produit qui réponde à une fonction prévue, ils affirment, et même parfois écrivent leurs affirmations, sur leur façon de faire jusqu'à ce qu'un dysfonctionnement leur "mette le doute" et leur fasse reconsidérer leurs affirmations. En ce sens, les techniciens et ingénieurs sont donc des savants ! L'industrie nucléaire n'a plus le même visage depuis Tchernobyl, la Mercedes classe A depuis son passage sur le toit à sa présentation à la presse non plus d'ailleurs...
Preuves s'il en fallait que soumises à l'épreuve des faits, les créations humaines comme affirmation du savoir-faire des "savants" qui les créent et les produisent, sont elles aussi re-questionnées ... Et si l'un des buts d'une acculturation scientifique et technique résidait essentiellement dans la mise en question : "comment les savants font-ils pour être si sûrs de ce qu'ils affirment ?" ?

lun 15/04/2002 - 03:01
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Voici en guise de réponse, une citation du mathématicien Cassius J. Keyser :
"La certitude absolue est le privilège des esprits sans éducation ou des fanatiques. Elle est, pour le scientifique, un ideal irréalisable." (Absolute certainty is the privilege of uneducated minds, or fanatics. It is, for scientific folk, an unattainable ideal.)

jeu 23/05/2002 - 03:01
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